Orfèvre, un métier précieux – in Libération, 11/09/2006

C’était en 2006, à l’occasion de la remise du Prix Liliane-Bettencourt pour l’Intelligence de la Main, Libération publiait cet article de Stéphanie PLATAT.

« Roland Daraspe, 56 ans, est orfèvre depuis trente ans dans la région de Bordeaux. Il vient d’être distingué par le prix Liliane-Bettencourt pour l’intelligence de la main. »

«Ma philosophie est assez simple, et jusqu’à maintenant elle m’a plutôt bien réussi : comme on doit travailler toute sa vie, autant faire ce qu’on aime vraiment. J’ai une formation technique en chaudronnerie et en mécanique aéronautique. J’ai exercé pas mal de boulots, j’ai fait du porte-à-porte pour vendre des bouquins. Puis un jour, j’ai croisé la route d’un maître verrier qui m’a fait redécouvrir le travail de la matière, et de mes mains. J’ai commencé à faire des bijoux que je vendais sur les marchés, ça me plaisait et ça marchait bien, donc j’ai persévéré pour devenir orfèvre. Ça fait trente ans maintenant que je manie les feuilles d’argent.

J’ai commencé par faire des petites boîtes, toutes simples, mais avec l’expérience j’ai appris à comprendre le métal, à prévoir ses réactions aux coups de marteau et à la chaleur au moment de souder les pièces. Comme un chef en cuisine, il faut maîtriser le feu. Les artisans sont des gens qui savent rester humbles, c’est la matière qui décide, il faut lui rentrer dedans pour comprendre comment ça se passe. Avec de la patience et de la minutie, je suis parvenu à dépasser le stade des petites boîtes pour faire des théières, des objets de la vie quotidienne comme des étuis à cigarettes, des timbales de baptême, des épées d’académiciens et même des urnes funéraires. Certaines de mes pièces sont exposées dans des musées, d’autres servent à la vie courante. Le navire à caviar pour lequel je viens d’être récompensé m’a demandé deux cents heures de travail. En réalité, il m’a fallu trente ans et deux cents heures de boulot.

J’ai conscience que jamais je ne pourrai me payer les objets que je fabrique. Je travaille pour des grandes maisons, comme Arthus-Bertrand, pour qui je fais des bâtons de maréchal qui portent la Légion d’honneur. Je travaille sur un projet de salière pour l’hôtel Meurice à Paris. Les pièces d’orfèvrerie se retrouvent aussi beaucoup dans les églises. J’ai quelques tabernacles et un calice de voyage à mon palmarès, et je viens d’être contacté par l’archevêque de Bordeaux pour réaliser une pièce, j’ignore encore de quoi il va s’agir. Dernièrement, j’ai fabriqué un ostensoir pour des soeurs d’un cloître d’Avignon. La manière de faire n’était pas banale : elles m’ont contacté par mail et tout s’est fait via l’Internet. Elles voulaient que le récipient dans lequel sont déposées les hosties soit en or. Pour cela, il leur fallait 26 napoléons à fondre. Les soeurs sont allées fouiller dans les dons faits au couvent et ont trouvé pile le compte. C’était un signe. Je les ai seulement rencontrées au moment de la livraison.

Aujourd’hui, les clients viennent directement à moi et savent me trouver dans mon atelier en plein Médoc. Mais, au début, il m’a fallu démarcher. Il faut dire qu’en France, les orfèvres qui travaillent comme de vrais artisans se comptent sur les doigts de la main. Nous sommes une espèce en voie de disparition, même si, depuis trois ans, j’ai formé un jeune à ce métier. Au moment de la création, il faut savoir écouter les clients : ce qu’ils vont exprimer, je dois le sentir pour le transmettre au métal.

@Stéphanie Platat – in Libération – 11/09/2006.

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