A l’occasion de l’exposition « Roland Daraspe, orfèvre maître d’art » du 18 février au 15 mai 2011, le Musée des Beaux Arts de Carcasonne édite le catalogue de l’exposition.
– Introduction par Jean-Claude Pérez, député-maire de Carcassonne.
– Préface de Jacqueline du Pasquier,conservateur en chef honoraire, « Roland Daraspe, un orfèvre d’aujourd’hui ».
– « Pourquoi de l’orfèvrerie à Carcassonne ? », la réponse de Marie-Noëlle Maynard, commissaire de l’exposition, conservateur en chef du musée des beaux-arts de Carcassonne.
Voir la vidéo du Musée de la ville de Carcasonne :
Introduction
Si les installations, la peinture et la sculpture contemporaines sont souvent à l’honneur dans les expositions actuelles, il est moins fréquent de consacrer une manifestation à ce que l’on appelle les arts décoratifs. Peut-être en raison de leur côté utilitaire – il traîne toujours, en France, cette idée qui rend moins “noble” cet aspect –, ces derniers semblent davantage destinés aux galeries ou aux collections spécifiques. Or notre musée des beaux-arts conserve un petit fonds d’orfèvrerie du 18ème siècle qui justifie parfaitement, que l’on s’intéresse à l’évolution d’un art qui n’a rien de mineur.
Orfèvre Maître d’art, Daraspe nous annonce en quelque sorte “la couleur”. A l’image de son travail sincère et élégant, il ne s’agit pas d’adopter une quelconque posture artistique mais bien d’affirmer sa réalité : celle d’un créateur ancré dans une filiation et un savoir manuel qui lui ont valu le titre, rare, de Maître d’art. Il y a là presque une revendication dans une pratique artisanale. C’est-à-dire souligner l’importance de la main, de la matière et de connaissances techniques lentement apprises et parfaitement maîtrisées. Cela n’est pas rien puisque ces “gammes” sues, ce sont elles qui permettront l’expression de l’idée première. Cette intention créatrice, elle ne peut s’exprimer et prendre forme que par le faire : un faire précis, exigeant et lui-même inventif. Daraspe ne fait pas partie de ceux pour lesquels l’énoncé seul du concept fait oeuvre, non il lui donne corps et il tient même puisque sa production est utile à ce que ses objets soient exactement adaptés à leur fonction, vieille proposition souvent revendiquée mais tout aussi souvent oubliée. Il n’en néglige pas pour autant la haute qualité des lignes et des polis si la boite à thé ferme impeccablement, le travail guilloché de sa panse doit tout aussi parfaitement et régulièrement accrocher la lumière.
Ses œuvres sont à son image et tendent vers l’essentiel, vers une simplicité épurée. Exigeant, il les prépare par de nombreuses études qui prouvent assez la qualité de son travail et de sa réflexion. Bien évidemment depuis ses premiers tâtonnements, son art a évolué mais dès 1982, dès ses premières pièces personnelles, son style est trouvé qui rend son œuvre reconnaissable entre tous.
Nous sommes donc heureux d’accueillir Roland Daraspe au musée et en quelques sortes de le retrouver puisque c’est dans notre département qu’il apprit, à la fin des années soixante, les rudiments de son art. Depuis, il a su répondre aux plus prestigieuses commandes présidentielles et aristocratiques ou à celles de simples particuliers. Aussi nous en sommes sûr ses originaux “baluchons”, nefs et autres bols à punch sauront séduire notre public carcassonnais.
Jean-Claude Pérez – Député -Maire de Carcassonne
Préface
Roland Daraspe, un orfèvre contemporain
L’argent à l’éclat raffiné a de tout temps suscité une véritable fascination depuis la plus lointaine Antiquité jusqu’à nos jours et l’Argentier ne fut-il pas auprès du roi et pendant longtemps un personnage très important, l’intendant des maisons princières qui avait la garde des biens les plus précieux ?
Qui argent a, la guerre il entretient,
Qui argent a, gentilhomme devient,
Qui argent a, chacun lui fait honneur,
C’est Monseigneur.
Tout est dit de la puissance et de l’aura du beau métal dans cet extrait d’un vieux couplet du XVI e siècle, retenu par l’érudit et très savant amateur d’objets et de leur histoire que fut Henri Havard (1). Au “mythe” de l’argent demeureront longtemps attachées les notions d’apparat, de richesse et de pouvoir. Il convient de se souvenir aussi que mises à part sa beauté et la qualité de ses pièces façonnées, l’orfèvrerie d’argent fut longtemps considérée comme un trésor “de réserve” doublement précieux, puisqu’en cas de nécessité on pouvait la faire fondre. Par ailleurs, souvent désignée sous l’appellation de “vaisselle plate” et présente dans toute maison un peu fortunée, elle fut, plus que tout autre objet, un symbole d’accession sociale, “L’ambition d’un bourgeois est d’avoir de la vaisselle plate (…) avoir de la vaisselle plate c’est sortir de la bourgeoisie” écrit Sébastien Mercier dans son Tableau de Paris, (Livre XII), vers 1780.
Les valeurs et les démarches de la société ont certes changé mais la magie du métal, demeure. Les amateurs et collectionneurs sont nombreux ; l’orfèvrerie ancienne et ce qu’il en reste en France après les lois somptuaires de la fin du XVIIe siècle et du règne de Louis XV, destructrices de tant de chefs-d’oeuvre, en compte de nombreux, également intéressés par les créations contemporaines car bien des designers et parmi les plus “révolutionnaires”, Ettore Sottsass ou Andrea Branzi fondateurs de la Memphis par exemple, et avant eux, bien sûr, le premier grand designer anglais Christopher Dresser (1834-1904) n’ont pu résister à la tentation du métal seul capable d’apporter une rutilance et un raffinement inégalables à leurs créations (2). Enfin la reconnaissance dont l’oeuvre de Roland Daraspe, véritable orfèvre, est entourée en témoigne éloquemment. Les commandes qu’il reçoit sont multiples et diverses et ne sont pas seulement le fait de riches particuliers. Elles émanent aussi bien de l’Etat, pour l’Elysée et les cadeaux présidentiels, que du culte catholique ou judaïque. Les grandes maisons de luxe Caron, Baccarat ou Daum mais aussi les Ateliers d’art de Paris, les Salons de Francfort et de Bâle et, de manière plus pérenne, les musées et le Fonds national d’Art contemporain, sans compter d’innombrables galeries européennes, ont commandé, acquis ou présenté des pièces de Daraspe.
Quel chemin parcouru et combien de réalisations depuis la première exposition,(3) si justement prometteuse que lui consacrait le musée des Arts décoratifs de Bordeaux en 1992… J’avais découvert Daraspe deux ans plus tôt dans le cadre d’une présentation des métiers d’art organisée par le conseil général de la Gironde. Je vis là une de ses œuvres qui d’emblée retint mon intérêt, il s’agissait d’une théière créée un an auparavant, évidente démonstration de ce que Daraspe énoncera plus tard, modestement mais très formellement, “Mon travail est technique, très technique. Je ne joue pas avec les mots mais avec la matière”. Cette théière est belle, d’une forme pure, toute en courbes auxquelles répondent harmonieusement la ligne arrondie de l’anse et, dans le prolongement du galbe de la panse, un long bec verseur. Mais son élégance ne l’empêche pas d’être parfaitement fonctionnelle, elle a été pensée pour être un objet pratique : elle appelle tout naturellement la main et verse parfaitement ; son anse évidée à chaque extrémité, permet de la saisir sans se brûler les doigts. Complétée par la suite d’un plateau, d’un sucrier et d’un pot à lait, cette théière qui reste pour moi une sorte d’objet-phare dans l’oeuvre désormais très abondant et divers de Daraspe, eut immédiatement sa place dans les collections de l’hôtel de Lalande consacré aux arts décoratifs et c’est elle qui décida d’une exposition, suivie quelques années plus tard d’une autre manifestation dans ce même musée des Arts décoratifs de Bordeaux ( 4).
A une époque où l’on assiste de plus en plus à l’intervention de designers et de stylistes ne travaillant pas eux-mêmes les matériaux mais dessinant avec une égale disponibilité pour l’orfèvrerie, la céramique, le verre, les émaux, les textiles ou le mobilier des objets réalisés par autant de techniciens et d’artisans, la grande qualité de Daraspe et l’intérêt qu’il suscite tiennent incontestablement au fait qu’il réalise lui-même les pièces qu’il a imaginées. Parce qu’il connait les règles imposées par la matière, il propose des créations à part entière et ses objets sont étudiés pour être harmonieux sans jamais cesser d’être fonctionnels. Certes par la suite, la notoriété lui venant, son impeccable savoir-faire lui attire des sollicitations de dessinateurs très divers comme la duchesse de Wurtemberg, Christian Astuguevielle, Christophe Pillet, Patrick Hernandez ou Claude Bouchard mais si intéressant que soit ce travail de collaboration, et parfois la rencontre a pu être parfaitement réussie, il est permis de préférer les objets que Daraspe a lui-même et tout seul intégralement créés.
Artisan – le mot est beau et désigne tout ensemble l’imagination qui crèe et la main qui exécute- plein de sagesse et de modestie, dans la filiation des orfèvres du temps passé, Daraspe conçoit ses formes en fonction des techniques qu’il connait et maîtrise. “Je pars d’un dessin en coupe, je fais beaucoup de croquis, ensuite j’attaque la troisième dimension avec une maquette. Avant de poser mes premières ébauches sur le papier, j’ai résolu les problèmes techniques dans ma tête. Une maquette en plâtre me fait évoluer vers la forme parfaite, ensuite c’est la réalisation où intervient la part créatrice du métal.” Et il ajoute : “C’est la raison pour laquelle tout faire de A à Z a beaucoup d’importance”. Il est toujours émouvant de reconnaître dans le style retenu par l’artiste, la personnalité de l’individu. Roland Daraspe est direct, chaleureux et profondément sincère, ses créations sont à son image : “Une boîte doit fermer avec un petit clic parfait, une théière verser sans goutter, son anse ne doit pas vous brûler, un flambeau être stable…l’orfèvrerie n’autorise pas le bluff” et il ajoute “je recherche le vrai dans mon travail et dans la vie”. Ces phrases toutes simples accompagnent et donnent tout leur sens à ses objets de confort ou de convivialité, les boîtes (à pilules, à poudre, à bonbons…) les étuis (à cigares, cigarettes, cartes de visite, cartes à jouer…), les flasques à alcool ou à parfum, les verres à liqueur, les gobelets ou la tasse pour le vin de Bordeaux, les coupes et les vases aux fonctions diverses, les luminaires mais aussi les objets de culte. Les formes sont sobres, parfois massives mais toujours pures et élégantes, il arrive qu’un pied plus fragile, une tige de coupe ou de verre à boire qui s’incline, un bord qui s’incurve apportent une note plus sensible, lointainement inspirée de l’ornement végétal cher à l’Art nouveau. Tous ces objets invitent au toucher car il y passe comme une sorte de frémissement épidermique qui n’est autre que la trace délicate et ténue mais très perceptible du martelage. En les regardant on sent le métier, la main de l’artisan, et l’on pense au texte magistral de Henri Focillon, cité par Robert Coustet dans le discours pour la réception de Roland Daraspe à l’Académie nationale des sciences, belles-lettres et arts de Bordeaux, Eloge de la main, “La main touche l’univers, elle le sent, elle s’en empare, elle le transforme. Elle combine d’étonnantes aventures de la matière, elle ajoute au règne de la nature un règne nouveau”. Ainsi chez Daraspe, l’artisan est-il inséparable de l’artiste et de l’homme. L’ergonomie si souvent évoquée dans la création du grand design est avec lui parfaitement respectée.
Il est également tentant devant une oeuvre qu’on admire de la replacer dans un certain contexte esthétique. Certaines créations de Daraspe aux formes dépouillées, au décor simplifié d’une pierre sertie, au martelage apparent, pourraient rappeler l’orfèvre anglais des Arts and Crafts, Charles Robert Ashbee ou encore les recherches en Autriche, de Joseph Maria Olbrich. Dans d’autres cas, le travail de Daraspe, à partir d’une feuille d’argent pliée renvoie aux créations de l’Italien Lino Sabattini,autre orfèvre autodidacte œuvrant pour Christofle dans les années 50. Toutefois, ces rencontres sont fortuites. Roland Daraspe ne connaissait pas ces artistes, néanmoins il les rejoints au terme de préoccupations analogues. Ashbee comme Olbrich, en réaction contre l’envahissement du goût éclectique multiplié par l’industrie, revendiquaient hautement la noblesse de l’artisanat et l’urgence de s’opposer à l’omniprésence d’un décor répétitif privé de sens et de nécessité. Tandis que Sabattini, marqué par la pureté de certaines créations scandinaves et venu de Milan, métropole du design, tentait de concilier fonction et harmonieuse limpidité des formes. Le travail de Roland Daraspe s’inscrit complètement dans cette démarche : désir d’innover dans le respect de la tradition et du savoir-faire artisanal.
On connaît la forte influence du Japon qui s’est manifestée en Occident dès la seconde moitié du XIXe siècle, et perdure encore ; Daraspe, plus ou moins consciemment y a souscrit. Elle se laisse deviner dans certaines lignes de ses créations mais aussi dans le recours à des techniques traditionnelles : émaux enchâssés dans l’argent, mokumé ou “oeil de bois”, vieux procédé japonais qui consiste à souder ensemble trois métaux différents et à effectuer par des opérations de laminage et de soudage une superposition de vingt-quatre couches, jouant ainsi sur les oppositions de couleurs des métaux. Travail qui fut mis à l’honneur en France vers 1870, en pleine mode japonisante, par Henri Bouilhet, neveu et successeur de Charles Christofle. Daraspe avec patience et modestie est passé maître dans ces savoir-faire éclatants et sophistiqués et une de ses très belles pièces est un calice serti de neuf plaques d’émaux champlevés d’ un autre grand artiste des arts du feu, Raymond Mirande.
Mais la connaissance que Daraspe a du métal va bien au-delà du seul argent même s’il demeure son matériau de prédilection comme celui qui lui est le plus demandé. Il fut d’abord métallurgiste, titulaire dès 1968 d’un C.A.P de chaudronnier, puis en 1971 d’un brevet de mécanicien aéronautique. Grâce à cette formation purement technique, les métaux comme leurs alliages et leur oxydation n’ont pas de secret pour lui. Il aime à les juxtaposer, jouant ainsi de leur contraste, maillechort, laiton doré, vermeil, argent ou nickel. Il les adopte et les travaille en fonction de leurs caractéristiques et de l’objet à réaliser. Ainsi une paire de candélabres de 1991 aux formes sinueuses et souples évoquant le monde végétal, est-elle réalisée en argent et selon la technique, assez exceptionnelle dans l’oeuvre de Daraspe, du moulage. En revanche, lorsqu’il crée de grands flambeaux à neuf branches décharnées qui semblent devoir éclairer quelque festin barbare, le moelleux de l’argent ne convient pas et Daraspe choisit le cuivre, “métal commun que j’ai abordé plus grossièrement dans l’assemblage des différentes branches et également plus brutalement dans la finition, la patine et la texture du métal. Cette réalisation est plus sauvage”.
Ce sont enfin ce goût et cette connaissance des techniques traditionnelles qui ont incité Daraspe, bordelais d’adoption, à s’intéresser à la tasse à vin, cet ustensile incontournable des pays de vignobles. La tasse à vin apparaît très tôt à Bordeaux dès 1505 et on sait qu’elle fut commandée à un orfèvre en 1539, par un certain Antoine Mège. Devenue au cours des siècles la pièce essentielle de la juridiction de Bordeaux, elle continue d’être utilisée de nos jours. Son modèle le plus courant est particulier ; ronde et sans anneau latéral avec appui-pouce, la tasse à vin – et non le taste-vin – présente en son centre, entre des bords s’évasant harmonieusement, un large ombilic qui permet de “mirer” le vin et de le sentir. Tout en restant fidèle à la typologie locale, Daraspe a su lui apporter une variante originale, discrètement naturaliste, particulièrement heureuse. Et cette création, emblématique en quelque sorte, nous fait comprendre combien est parfaite l’intégration de Roland Daraspe à Bordeaux, là où les orfèvres furent nombreux et talentueux, pratiquant un style essentiellement classique, sobre sans exclure toutefois quelques savoureuses particularités, mais toujours mesuré. Roland Daraspe en est bien l’héritier.
Jacqueline du Pasquier, conservateur en chef honoraire longtemps en charge du musée des Arts décoratifs de Bordeaux. Août 2010
Notes
1. “ L’argent et ses emplois”, L’Art dans la maison, grammaire de l’ameublement, Paris, Edouard Rouveyre, 1887, 2 tomes.
2. Pour plus d’informations sur ce sujet, on peut consulter, Argenti italiani del XX secolo, Milano, Electa, 1993 et Ch. Dresser People’s Designer 1834-1904, Exhibition by New Century 2nd-19th June 1999
3. Catalogue “Roland Daraspe un orfèvre bordelais contemporain” Bordeaux, musée des Arts décoratifs, 10 octobre – 15 novembre 1992.
4. En 2008, le musée des Arts décoratifs de Bordeaux organise une seconde et belle exposition accompagnée d’un important livre-catalogue, “Roland Daraspe, maître d’art, orfèvre contemporain. De la feuille à la courbe”, Paris, Bernard Chauveau Ed. 2008
Pourquoi de l’orfèvrerie à Carcassonne ?
Il semble pertinent dans une ville qui a compté des orfèvres dès le 16ème siècle, de garder la mémoire de ce qui fut une activité florissante. Ces artisans fondèrent, en 1676, une Compagnie des Orfèvres de Carcassonne, composée de 12 maîtres “Jurandes”. Au 18ème siècle, l’argenterie se répandit dans les intérieurs bourgeois, on appréciait l’éclat que ce métal apportait aux tables. Toutefois, il faut rappeler que si les soucis d’ostentation n’étaient pas exclus de cet intérêt, il y rentrait aussi une considération plus matérielle et sanitaire : celle de la neutralité du goût par rapport à l’étain.
Le fait que Carcassonne et ses alentours permettent à des familles d’orfèvres de prospérer, semble indiquer une certaine aisance économique. Si on connaît bien les ciboires et autres crosses d’évêques laissés par les Aribaud Philippe, Jean-Pierre et Pierre, conservés dans les différents “trésors” des églises de l’Aude – Saint-Vincent à Carcassonne, Villaliers, etc. –, production qui semble abondante, on connaît peut-être moins bien leur production privée. La cafetière égoïste et la cuiller à ragoût de notre musée, les cuillers à saupoudrer de la collection Kenber et le superbe pot avec couvercle et son plat passé en vente chez Sotheby’s le 20 novembre 2010 à Paris, prouvent assez qu’ils ne se limitèrent pas à satisfaire les commandes du clergé et que celles des particuliers furent aussi de qualité. Ainsi le musée des beaux-arts de Carcassonne conserve un petit fonds d’argenterie du 18ème siècle rarement montré au public qui témoigne modestement de cette production. Comme les œuvres sur papier, les monnaies, les médailles ou encore les pièces d’archéologie préhistoriques et gallo-romaines, le manque de place et de conditions satisfaisantes pour le présenter, imposent son maintien en réserves. Si cet ensemble reste limité, sa qualité le rend tout à fait savoureux et justifierait son enrichissement.
Présenter l’œuvre de Daraspe, c’est donc jeter un pont entre ce passé de qualité et la création actuelle ; c’est renouer avec une production et une histoire qui n’ont jamais disparu mais qui, avec la multiplication des produits, sont devenues plus confidentielles. Par ailleurs au 19ème siècle, l’apparition du métal argenté, pour un effet identique mais un moindre coût, a limité les attentes de création et d’originalité à une clientèle plus réduite.
En ces temps où les plaisirs de la table et de la décoration inspirent même des émissions et des concours télévisés, il semble opportun de montrer ce que les arts de la table ont de profondément actuel et novateur mais aussi d’exigeant dans la qualité et l’invention. Le travail de Daraspe nous prouve qu’une forme peut toujours évoluer et les matériaux répondre à des attentes esthétiques imprévues. Les pierres dures, les bois polis par leurs touches colorées jouent avec la plasticité du métal et mettent en valeur le travail de ciselure ou de guillochage de ce dernier.
Comme ses prédécesseurs, Roland Daraspe ne se limite pas à la production domestique, il sait aussi satisfaire des commandes religieuses et décoratives. Ainsi ses calices et patènes participent, entre autres, aux cérémonies eucharistiques du couvent de La Tourette dont la célèbre architecture par Le Corbusier ne peut se conjuguer qu’avec une exigence de pureté des matières et des lignes. Par ailleurs, il ne répond pas seulement au culte catholique ; le chandelier à sept branches de cette exposition prouve qu’il sait aussi entendre d’autres cultes : hébraïque mais aussi islamique.
Fixé dans le Médoc, son œuvre a dépassé les frontières de l’Aquitaine, son travail, reconnu à l’échelle internationale, prouve que le bel ouvrage reste apprécié des vrais amateurs. On peut certainement avancer qu’avec Daraspe ou Goudji la fin du 20ème et le début du 21ème siècle ont vu créer un style spécifique à l’instar de celui de Puiforcat ou Servan, à Bordeaux, pour l’entre deux guerre. La recherche de simplicité des lignes, de l’éclat et l’arrondi du polis, mais aussi d’efficacité, l’introduction de nouveaux matériaux dans le décor – bois, lapis-lazuli, cornaline, etc. – signent sans erreur l’origine et la période.
Marie-Noële Maynard, conservateur en chef du musée des beaux-arts de Carcassonne.